top of page
Rechercher

Une journée d'interconnectivité aux Jardins de Métis

Dernière mise à jour : 27 mars

Quand je fais la route entre le 4e rang et le village pour aller porter les enfants à l’école, deux faits me frappent. De un, c’est là qu’à chaque matin j’ai droit à la scène du fleuve qui change de voile, parfois j’arrive à voir de l’autre côté, situer la Pointe-des-Monts. Aussi, c’est durant ce court trajet que magiquement mes enfants se délient la langue. Et ce matin, ce sont des questions sur le lien entre les Toltèques et les Mayas. Un peu loin dans ma mémoire, je ne situe même plus durant quelle année scolaire on a parlé de l’histoire en Amérique du Sud. Cela dit, fiston est bien fier d’avoir le sentiment de m’en apprendre un peu sur le sujet. 

 

Je dépose les perles de mes yeux dans la cour d’école où fourmille la camaraderie fascinée par un étang formé par les accumulations enneigées des dernières semaines qui se sont pas mal fait chauffer la couenne par les doux rayons de mars.

 

Direction les Jardins de Métis.

 

Dans le Grand Hall lumineux avec vue sur la mer, une trentaine de passionné·es ont bravé la grosse semaine de boulot pour se réunir et amalgamer leur fil d’Ariane. Ça faisait longtemps que je n’avais pas participé à ce genre d’activité. Aussi longtemps que je n’avais pas passé une journée à parler de données. Et pourtant, j’ai bien eu toute une décennie ou deux pour me forger le dictionnaire mental sur tout ce qui a trait au numérique. Depuis quelques mois, cette référence a sacrément ramassé la poussière, et c’est tout pour me plaire. Cette pause m’aura laissé de la marge pour écrire sur le Monde, parler “humain”. 

 

Vais-je réveiller mon passager intérieur, le “collecteur”? Je salue les collègues, j’allume ma tablette et me mets en mode perception. Et oui, il est bien réveillé, comme à son habitude.

 

C’est Alexander Reford qui nous accueille et nous annonce qu’il va un peu délaisser les sentiers fleuris et les archives de Métis pour aller semer et cultiver des idées pour la fédération. Alexander, député? Oui, je l’imagine bien, c’est une des personnes profondément inspirantes que j’ai eu la chance de rencontrer dans ma vie. La journée ne porte pas sur la politique, par contre ce contexte vient mettre une saveur à tout ce qui se dira par la suite. Parce que les données, c’est de l’or. Et l’or, c’est le nerf de la guerre.

 

Victoria - prédire le passé pour prédire le futur

 

“Et si on utilisait les données climatiques du passé pour entraîner des modèles IA qui peuvent prédire des événements du passé?” Wow, cette ingéniosité m’a frappé. Loin d’être un “trip de geek”, cette question contient à elle seule une clé de notre adaptation. Des questions comme ça, on s’en pose apparemment depuis les siècles. Comme celle-ci que vous vous êtes peut-être aussi posée en explorant un globe terrestre : “Pourquoi, malgré la latitude similaire de part et d’autre de l’Atlantique, semble-t-il faire plus froid en Nouvelle-France?” Les hypothèses fusent, les instruments de mesure se développent, les expériences se multiplient, tout cela avec les références et les capacités du 18e siècle. 

 

Imaginez maintenant une salle d’archives en 2025, à Montréal ou à Paris. Ça sent le vieux livre, l’encre un peu âcre. Votre cerveau aime ça, sans trop comprendre pourquoi ce parfum du passé est vraiment enivrant. Ça peut faire le même effet que l’odeur de la varette (varech) sur le bord de la grève. Les archives. Vous avez des documents devant vous, tous ouverts aux pages décrivant l’analyse des résultats de Gaultier, Réaumur, Celsius, Von Linné, Kalm. Comment collecter la donnée manuscrite dans des langues de différents pays émergeant d’un passé lointain? Celles et ceux qui se passionnent pour la Science des données sont déjà en train de programmer une méthode en lisant ces lignes, arrêtez et concentrez-vous, Victoria l’a déjà fait dans son projet DRAW

 

Je l’avoue, moi aussi j’ai les neurones qui se battent pour ne pas entrer en mode “résolution du casse-tête”. Je veux m’élever, voir à quoi ça pourrait servir ce chantier pharaonique de collecte et d’analyse. Et je le vois. Avec peu de moyens et surtout beaucoup de patience, Victoria et son équipe ont mis le doigt sur un potentiel instrument pour nous aider aujourd’hui à mieux s'adapter aux changements climatiques. Décrire dans le temps et l’espace, les événements météorologiques du passé peut nous aider à prendre de meilleures décisions pour nos communautés. On parle de centaines de millions de dollars qu’on pourrait éviter de dépenser pour se relever de catastrophes. J’imagine Gaultier en 1749, en pleine mission scientifique quelque part au Québec. Est-il en train de se dire que ses travaux de recherche pourront aider ma communauté fluviale à continuer à vivre ici encore longtemps sur les berges du Saint-Laurent? 

 

Je lâche ma tablette et je lance un regard dans la salle. Il y a là les témoins de l’histoire, de la biologie, de la physique, des lettres, de la géographie, de l’archéologie. Et vous, mes collègues de l’UQAR, explorez-vous le climat en pensant aux habitant·es de Métis de 2300 ?



Facilitatrice graphique : Déline Petrone
Facilitatrice graphique : Déline Petrone

Geneviève - À quand la mutualisation?


Parlons maintenant de partage. Cette semaine, nous avons assisté à une rencontre des dirigeant·es de nos provinces souhaitant développer des corridors pour faciliter le commerce intérieur au Canada. Réaction vive à la guerre initiée par nos voisins du Sud, tout d’un coup on arrive à imaginer un futur où certaines règles rigides d’hier deviennent rapidement dépassées. Dans le chaos naît l’innovation. 

 

Dans l’Est du Québec, on a la chance d’avoir un corridor maritime stratégique. Des ports ouverts à l’année où peuvent transiger le grain, le sel, le fer, la mélasse. Je me rappelle les discussions que j’ai eues dans mon autre vie avec un conseiller stratégique du secteur maritime, concernant la valorisation des données portuaires. Discussion datant de quelques années déjà où le secret industriel valait probablement encore plus que la mutualisation des données. Mais là, on est ailleurs. 

 

Du chaos naît l’innovation.

 

La guerre commerciale, c’est un peu la version “covidienne” du transport maritime québécois, et un des vaccins accessibles qui nous permettrait une certaine immunité face aux aléas économiques pourrait bien être en partie les données. Est-ce pensable de passer de la relation écologique de prédation à celle de mutualisme? 

 

Et là je repense à ce que Victoria a fait avec les calepins de nos découvreurs du passé, et je me dis qu’on a affaire au même défi… agences, armateurs, remorqueurs, inspecteurs, syndicats, douane, capitaines. Cette mer de données n’est pas une mer d’huile ; elle est orageuse, démontée. La question des moyens revient. D’expérience, la préparation des données coûte cher, très cher. En plus, c’est long, complexe, ça demande de développer des outils et des méthodes pour s’adapter aux spécificités de ce jeu de données. 

 

Et si on y arrivait? Et si ces données portuaires devenaient FAIR (découvrables, interopérables, accessibles et réutilisables)? En tout cas, peut-être que je rêve (fort probablement), cela dit je rêve les yeux grands ouverts. Le timing est parfait pour se poser sérieusement la question.



Facilitatrice graphique : Déline Petrone
Facilitatrice graphique : Déline Petrone

Dany - on retient 90% de ce que l’on fait


90%, je me demande bien par quelle méthode “on” est arrivé à cette valeur… Enfin, c’est la phrase qui a émergé de ma mémoire pédagogique en écoutant Dany décrire la prochaine activité : en équipe, tenter d’interpréter l’information provenant de journaux de bord de la flotte Walker (ayant fait naufrage au large de l’Île-aux-Oeufs en 1711), pour ensuite positionner le plus de points possible sur une carte. 

 

Hubert et Marijo ont eu la patiente gentillesse de préparer les données dans des fichiers Excel, pour les plus aventuriers du groupe, les images de journaux de bord sont aussi disponibles et permettront à ceux qui s’y frottent de mettre à contribution leurs connaissances en paléographie (quel beau mot!). 

 

Le défi est lancé et l’intelligence humaine fait la preuve qu’il sert encore à quelque chose quand vient le temps de valoriser les données. Ça a l’air facile d’un premier coup d'œil, mais Hubert me dépeint la réalité. On peut avoir 4 journaux de bord différents sur le même navire, chacun rédigé par des membres d’équipage exerçant des responsabilités différentes. On est en 1711, où était le méridien de référence à l’époque? C’est quoi un “mille marin”? Est-ce qu’un degré sur la carte mesure la même chose à la latitude de la Boston qu’à celle de Baie-Comeau? Toutes ces questions générant une myriade de conflits cognitifs auxquels s’ajoutent les compétences techniques de base comme utiliser une trousse de géométrie (règle, compas, rapporteur d’angle, etc.) et lire une carte (rose des vents, longitude, latitude, degré, etc.). Dany, c’est un scénario d’enseignement et d’apprentissage bien ficelé, bravo! 

 

Ce qui est magique aussi, c’est de constater à quel point le groupe de scientifiques est mobilisé dans la tâche, c’est un challenge pour la tête et oui, on aime ça, ça nous remplit de joie et parfois même de petites épiphanies. Fort probable que le botaniste Kalm a ressenti la même émotion en découvrant la flore laurentienne, pendant que Gaultier tentait de mesurer le froid québécois. 

 

Par cette démonstration très pratique, Dany fait la preuve que la réutilisation des données, ça peut devenir un exploit titanesque. Ça permet aussi de mesurer tout le travail fait par des humains avant que la machine de gobe la donnée et en recrachent des modèles à tout vent. Il réussit aussi à illustrer comment le croisement des fils disciplinaires enrichit ces données et engendre une forme de dialogue entre le passé et le présent. 

 

J’entends mes enfants me demander:” Maman, à quoi ça sert d’apprendre ça? ” ou encore pire, avoir la capacité de voir l’avenir et affirmer:”Je n’aurais jamais besoin de savoir ça quand je serai grand ”. Victoria, Geneviève et Dany me donnent des arguments de poids aujourd’hui. 

 

L’histoire a ses raisons que le présent devrait comprendre.


Photographe : Isabel Cayer
Photographe : Isabel Cayer

Maxence et Mathilde - de FAIR à CARE


Je termine la journée avec Maxence, maintenant capitaine à la barre de l’Observatoire global du Saint-Laurent (OGSL). C’est un petit bijou régional qui souffle ses bougies pour 2 décennies de diffusion de données, et pas que.

 

Ma réflexion de la journée commence à converger, c’est l’argent (ou le manque d’argent) dédié à l’étape la plus coûteuse de valorisation (la préparation) qui revient dans les échanges. Je me dis que ça ne se peut pas que les subventionnaires ne se soient pas déjà fait souligner à gros traits de crayon gras que de valoriser les données ça se fait par du monde. Oui, par la force des choses, on automatise de plus en plus la job des “petites mains”, mais les présentations de la journée montrent bien que ça ne règle pas tout.

 

Bon, on a bien compris que la collecte de données date de Mathusalem. Il a toujours fallu investir du temps et des ressources dans cette étape de la démarche. Plus ça change, plus c'est pareil. On donne sang et sueur à miner, moissonner pour collecter les données, on engage et on s’engage avec une dose presque létale de patience dans leur préparation. De quoi devenir facilement cynique face aux demandes de plus en plus exigeantes des subventionnaires. 

 

Je me suis un peu perdu dans mes vieilles pensées pendant que Maxence présentait les outils d’extraction des métadonnées, c’était super intéressant Maxence, on s’en reparle à tête reposée. 

 

Je reviens sur Terre entouré de beaux humains lorsqu’il présente les principes CARE (prenez le temps de visiter le lien Web, même si ça fait déjà 6-7 pages de récit que vous absorbez). 


Facilitatrice graphique : Déline Petrone
Facilitatrice graphique : Déline Petrone

En rétrospective


C’est vrai, toute la journée j’ai senti mes réflexions passées m’habiter et confronter les idées partagées dans le Grand Hall. Tant de sciences, tant de possibles. Mais tant de menaces, tant d’incertitude.

 

Je marche dans le sentier forestier des jardins, j’entends un ruisseau chargé à bloc qui déverse en continu la crue du printemps. La neige tombe encore, l’hiver ne veut pas nous quitter. Cette même nature qui me crie dans les oreilles son silence apaisant:”CARE Isabel. CARE. Dirige ton attention vers le bénéfice collectif, garde le cap. CARE.” 

 


1 Comment


Texte inspirant, en effet les données sont l'or ou le pétrole du XXIe siècle.

Like
bottom of page